François Legault, Maire de Montréal?

Réflexions sur le livre de François Legault « Cap sur un Québec gagnant  – Le Projet Saint-Laurent».

Le développement économique est un enjeu politique majeur pour le Québec. Malheureusement, depuis 10 ans, on peine à trouver des stratégies de développement claires et cohérentes dans le programme des partis politiques québécois ou canadiens (voir par exemple mon analyse des programmes économiques des partis provinciaux aux dernières élections).Cap sur un Québec gagnant

Avec la publication de son ouvrage « Cap sur un Québec gagnant », François Legault, le chef de la Coalition Avenir Québec (CAQ), fait maintenant exception. A travers son Projet Saint-Laurent, il offre une vision très personnelle et enthousiasmante de l’avenir économique du Québec.

Son projet se déploie autour de cette richesse collective que représente le fleuve Saint-Laurent : création d’un cluster de l’innovation dans la vallée du Saint-Laurent, valorisation du fleuve et de ses magnifiques paysages comme facteur d’attraction des investissements, de qualité de vie et de stimulation des activités récréotouristiques, renforcement du transport fluvial afin de placer le Québec au cœur d’un réseau multimodal de transport en Amérique du Nord, etc.

L’ancien dirigeant d’Air Transat en profite pour discuter d’éducation, d’universités, de centres de recherche, de productivité des entreprises, d’exportations, etc. Excellent!

Et c’est peut-être le seul leader politique issu d’un parti majeur au Québec à lier aussi clairement, avec éloquence et sans hypocrisie électoraliste, le développement économique aux arts et la culture ainsi qu’à la protection de l’environnement. Car on entend trop souvent cette petite musique de droite qui présente l’écologie comme un ennemi de l’économie ou le monde des arts comme un club d’artistes gâtés vivant au crochet de la société, au mépris des théories économiques les plus récentes.

Ceci dit, je reformule les mêmes critiques à propos du Projet Saint-Laurent que lors de son dévoilement il y a un an (un blogue intitulé « Le Plan Sud de la CAQ : beaucoup de silicone, peu de valley… »). François Legault veut créer un cluster de l’innovation dans la Vallée du Saint-Laurent, un territoire long de 500 km. Il ne semble pas comprendre la notion de proximité et de distance. Son livre abonde d’exemples à suivre dans le monde : la Silicon Valley, Boston, Helsinki, Tel-Aviv, Barcelone, Cambridge, Bilbao, Anvers, etc. Quelle est la caractéristique commune à tous ces endroits? Ce sont des VILLES, pas des PROVINCES!

Le succès d’un cluster repose sur la proximité géographique des participants : entreprises, financiers, universités, autorités publiques, etc. Il est plus facile de coopérer en face à face qu’à distance; les bonnes idées se diffusent beaucoup plus facilement au sein d’une ville où les gens se côtoient et se rencontrent régulièrement. Un cluster entre Montréal, Québec et Sherbrooke en passant par Trois-Rivières ne fait tout simplement pas de sens.

Mais François Legault va encore plus loin dans sa confusion entre une ville et une province. Chef d’un parti provincial, il expose dans son livre un programme politique qui l’aurait probablement fait élire Maire de Montréal aux élections municipales de novembre dernier!

Revitalisation des rives du Saint-Laurent, dépollution des eaux afin de permettre la baignade à Montréal, construction ou rénovation des usines montréalaises de traitement d’eau, développement urbanistique du Havre de Montréal (cette zone située entre les ponts Jacques-Cartier et Champlain) , revitalisation des vieux quartiers industriels, décontamination des terrains de l’Est de la ville, et j’en passe.

Quel beau programme pour une ville!

Et je dirais même plus, si le PQ et le PLQ sont accusés de venir allègrement piger dans les idées de la CAQ, l’ouvrage de François Legault semble s’inspirer franchement d’un programme d’un certain parti municipal à Montréal.

Voici sa proposition pour réparer ce gâchis qu’est la rue Notre-Dame à Montréal : «Il faut transformer la rue Notre-Dame en un boulevard urbain à début moyen, rationaliser les activités de camionnage et transformer la rue Notre-Dame en un axe de transport public de pointe en envisageant sérieusement la mise en place d’une ligne de tramway à voie réservée (p. 208). » A la page 209, il poursuit : « Seul un boulevard permettrait la construction de maisons, de commerces et d’immeubles de bureaux. Mais surtout, c’est la seule option permettant d’imaginer qu’un jour le fleuve redeviendra accessible au plus grand nombre ».

Tramway, boulevard urbain, accès au fleuve, construction d’immeubles de bureaux? Ceci ressemble étrangement au projet d’Entrée maritime de Montréal, proposé par Projet Montréal!

Tout ceci pour dire que le développement économique va nécessairement de pair avec le développement régional. Chaque région du Québec fait face à des problématiques économiques très différentes. Ceci appelle donc des stratégies économiques distinctes d’une région à l’autre.

Québec continue d’imposer des politiques de style « top-down » en imposant aux régions un modèle de développement. Or, les théories modernes de développement suggèrent plutôt des politiques de type « bottom-up » par lesquelles l’ensemble des acteurs socio-économiques se mobilisent pour développer une stratégie régionale commune et cohérente qui sera ensuite présentée au gouvernement provincial.

En discutant essentiellement d’enjeux régionaux, François Legault semble reconnaître cela. Mais il ne propose rien en matière de décentralisation régionale ou de responsabilisation des acteurs régionaux à propos de leur propre développement économique.

A quand au Québec une véritable politique régionale de développement?

A travers son bouquin, François Legault montre qu’il a l’intuition de ce qu’est une stratégie cohérente de développement économique. Mais au-delà de cette grande vision mobilisatrice, on attend avec impatience le programme économique détaillé de la CAQ.

Le Plan Sud de la CAQ : beaucoup de silicone, peu de valley…

La Coalition Avenir Québec (CAQ) a présenté la semaine dernière sa stratégie de développement économique baptisée « Projet Saint-Laurent », destinée à transformer la vallée du Saint-Laurent en Silicon Valley de l’innovation.

Ce « Plan Sud », selon les termes de M. Legault, est évidemment une réponse au Plan Nord de l’ancien gouvernement Charest plutôt centré sur les régions ressources et les industries extractives qui sont faiblement créatrices d’innovations.

Si cette initiative caquiste visant à « rassembler les Québécois autour d’un projet collectif, emballant et porteur pour l’avenir du Québec » (selon le site Internet de la CAQ) est tout à fait louable, une lecture attentive du projet (qui fait quatre pages bien espacées) modère grandement l’originalité et l’ambition du projet. On y retrouve que du vieux réchauffé, des vœux pieux ou des politiques qui existent déjà.

Plan Sud ou Plan Marketing? La référence abusive à la Silicon Valley me laisse penser que la CAQ ne comprend pas tout à fait les fondements d’un tel « cluster » industriel.

La Silicon Valley, c’est une concentration d’entreprises, d’universités et de centres de recherche dans le domaine des technologies de l’information et des microprocesseurs, localisée dans la Baie de San Francisco. Le cluster représente un centre mondialement reconnu de l’informatique et de l’innovation dans le monde.

On y retrouve des entreprises telles que Adobe, Apple, Cisco, eBay, Google, Hewlett-Packard, Intel, Oracle, SanDisk, Sun Microsystems, Symantec, Yahoo!, AMD, Electronic Arts, en plus de milliers de petits entrepreneurs dynamiques en TI venus de partout dans le monde.

Elle constitue aujourd’hui le symbole par excellence d’une stratégie économique basée sur l’innovation et tournée vers les industries du futur.

Sauf que. Ne crée pas une Silicon Valley qui veut!

Le cluster existe depuis les années 80 et voilà donc 30 ans que tous les pays développés cherchent à recréer une Silicon Valley sur leur territoire…. avec très peu de succès.

Au Québec, on a d’abord eu le concept des « grappes industrielles », défendu dans les années 90 par le tristement célèbre maire déchu Gérald Tremblay, alors Ministre de l’Industrie sous Robert Bourassa. Puis, dans les années 2000, le Parti québécois a développé le projet ACCORD, basé sur des « créneaux d’excellence » localisés à travers les régions du Québec. Sur le même principe, il avait aussi commis le retentissant échec de la « Cité du Multimédia » à Montréal. Plus récemment, la France a fondé sa stratégie industrielle sur 70 pôles de compétitivité, avec des résultats très mitigés.

Et toujours à Montréal, l’économie de la ville s’appuie sur un pôle aéronautique, qui lui constitue un véritable succès.

Bref, la CAQ sort de son chapeau un projet esseulé qui traine dans la besace des développeurs économiques depuis 30 ans…

Mais plus grave, le projet de François Legault ne colle pas à la réalité d’un cluster. En effet, le succès de la Silicon Valley dépend crucialement des trois ingrédients suivants :

–         Proximité géographique : le pôle est basé sur la proximité géographique d’un grand nombre d’entreprises, de PME dynamiques, d’une main-d’œuvre spécialisée, de centres de recherche et d’universités, de financiers qui connaissent le langage des TI, etc. La proximité est extrêmement importante. Elle facilite les rencontres, les échanges d’idées, le transfert de l’innovation. Bref, la proximité génère un milieu dynamique et enrichissant. Plus on est loin, plus il devient difficile de coopérer facilement et efficacement avec autrui.

Or, le projet caquiste s’étend à l’ensemble de la vallée du Saint-Laurent, de Sherbrooke à Québec, en passant par Montréal et Trois-Rivières. Cet espace est beaucoup trop grand pour constituer une Silicon Valley!!! La Baie de San Francisco fait 77 Km en longueur. La distance entre Montréal et Québec est trois fois plus grande!

–          Pôle dans un secteur. Un pôle se concentre sur un secteur d’activité précis afin d’optimiser les coopérations entre acteurs économiques.

Le plan de la CAQ ne précise aucun secteur. La référence à la Silicon Valley est donc inappropriée.

–          Philosophie de coopération. La philosophie de l’Internet, centrée sur le partage et la liberté de l’information, favorise la coopération et l’échange d’information entre les entreprises. Cette coopération est au cœur du fonctionnement d’un pôle : plus on y échange des idées et plus l’innovation se transfère d’une entreprise à l’autre, plus on peut développer d’autres idées, plus il y a d’innovations, etc. Ceci génère un cercle vertueux de l’innovation, et c’est cet environnement mutuellement enrichissant et dynamique que l’on cherche à générer en créant un pôle de compétitivité.

Ainsi donc, le développement d’une Silicon Valley relève davantage d’un processus sociologique favorisant la coopération et le transfert de l’innovation entre les acteurs du pôle que d’une volonté gouvernementale. Aucun mécanisme bureaucratique, aucune subvention gouvernementale ne peut recréer artificiellement ce processus sociologique de coopération. C’est pourquoi il est si difficile de reproduire cet exemple ailleurs dans le monde.

De deux choses l’une. Ou bien la CAQ comprend bien le concept de pôles de compétitivité, mais se montre avare de détails dans un souci de vulgarisation médiatique, ou bien son Plan Sud n’est qu’une opération de marketing politique.

Ceci dit, le « Projet Saint-Laurent » se distingue face à l’absence d’alternatives intéressantes du côté du PQ ou du PLQ en matière de développement économique.

Une stratégie du 21ième siècle doit nécessairement porter sur l’innovation, la formation de la main-d’œuvre et la lutte au décrochage scolaire, le développement de la PME et de l’entrepreneuriat, le financement de la PME et de l’innovation, le développement durable, les pôles de compétitivité, etc. En ce sens, le projet de la CAQ pointe dans la bonne direction.

Mais ce n’est pas suffisant.

Pour un parti qui n’a pas d’expérience de gouvernance, la CAQ doit absolument démontrer qu’elle est prête à assumer le pouvoir.