Plan Nord : quand la boussole perd le Sud

C’était  « toujours plus à l’Ouest » chez le professeur Tournesol, mais au Parti libéral du Québec, on persiste à s’orienter vers le Nord en matière de stratégie économique, alors que la boussole du « vrai » développement économique, quant à elle, pointe obstinément vers le Sud.

Car sommes-nous, avec le Plan Nord québécois, en train de tuer notre tissu industriel au Sud, lui qui est tissé d’une multitude de petites et moyennes entreprises certes ingénieuses, exportatrices et innovantes, mais pourtant si fragiles? Explications.

L’exploitation massive des matières premières du Nord québécois exige de considérables quantités de  ressources, qu’il s’agisse de travailleurs spécialisés, de financement de projets, d’infrastructures de transport et de logement, etc. Or, ces ressources sont globalement limitées dans une économie. Si nous les consacrons davantage au Nord, c’est en grande partie au dépend du Sud (c’est le principe de l’allocation des ressources et de la spécialisation en économie).
Source: Journal de Québec, 9 mai 2011

Exemple patent : le grave problème des pénuries de main-d’œuvre. Les PME québécoises sont désespérément à la recherche de travailleurs spécialisés. Or, de plus en plus,  ces spécialistes prennent le pari d’aller travailler dans le Nord, attirés par des rémunérations très compétitives. Dans cette catégorie, on retrouve plusieurs professions très demandées par les entreprises du Sud : ingénieurs et techniciens, mécaniciens industriels, opérateurs de machines, ouvriers de la construction, spécialistes en technologies de l’information, etc. Exemple dans l’industrie aéronautique.

Et lorsqu’une entreprise du Sud est incapable de combler sa main-d’œuvre, ça signifie concrètement qu’elle n’aura pas toutes les compétences nécessaires pour produire davantage, développer des nouveaux projets, répondre à de nouveaux contrats, gagner des nouveaux marchés à l’étranger, etc. Donc, on ralentit le développement de nos entreprises manufacturières au Sud pour satisfaire les besoins du Nord.

Autre conséquence négative du Plan Nord, mais encore plus gravissime, c’est le risque d’affaiblir durablement notre capacité d’innovation. Pour être concurrentielles, les entreprises du Sud doivent se montrer innovantes. Or, l’innovation génère l’innovation, puisque l’on développe souvent de bonnes idées sur la base d’autres idées. Par exemple, il aurait été impossible d’inventer la microbiologie sans l’invention du microscope. Apple a créé le iphone parce que le téléphone cellulaire et le lecteur MP3 avaient été préalablement développés.

Surtout, les bonnes idées se transmettent souvent d’une entreprise à l’autre. Donc, lorsqu’une firme innove, cela risque d’inspirer la créativité chez les firmes voisines. Ce phénomène, que l’on appelle en économie « externalités technologiques », est très documenté et constamment vérifié sur le terrain par les chercheurs. C’est ainsi que, dans une région donnée, plus il y a d’innovations, plus les entreprises seront capables d’innover, augmentant la quantité d’innovations dans la région, ce qui permet aux firmes d’innover encore plus, etc. Le processus d’innovation, avec ces « externalités technologiques », fait boule de neige.

Toutefois, l’exploitation des ressources naturelles dans le Nord engendre vraiment peu d’innovation. Certes, il exige l’utilisation de machines technologiques. Mais cela ne crée pas de nouvelles idées. Ainsi, plus le Québec concentre son économie dans le Nord, plus il se spécialise dans un secteur peu innovant, au détriment de l’innovation dans le Sud. Ce faisant, on n’alimente pas l’effet « boule de neige » de l’innovation que je viens de décrire.

Bref, le Plan Nord oriente le Québec vers une stratégie économique centrée sur l’exploitation des ressources naturelles – à l’image de nombreux pays en voie de développement – alors que les autres pays développés misent sur les secteurs innovants et à valeur ajoutée, tels que la pharmaceutique, les nanotechnologies, les énergies renouvelables, les nouvelles technologies de l’information, etc.

Et, dans 50 ans, alors que les mines du Nord commenceront à dépérir, que ne nous restera-t-il? Le secteur industriel dans le Sud. Et là, nous aurons accumulé 50 ans de retard en innovation et en développement de marché.

Super comme stratégie de développement économique…

Soyons clair. Je ne suis pas contre l’exploitation des ressources naturelles. Au contraire, c’est une richesse inestimable pour le Québec.

Mais n’oublions pas le  « vrai » développement économique, c’est-à-dire la capacité de créer plus de valeur ajoutée avec les mêmes ressources. Lorsqu’une entreprise invente un nouveau produit et qu’elle l’exporte partout dans le monde, elle crée quelque chose à partir de son ingéniosité, de ses talents de commercialisation et de gestion, et des compétences de ses travailleurs. L’innovation et la créativité se nichent au cœur de ce processus, et c’est dans le Sud où tout cela se passe.

À l’opposé, extraire des ressources naturelles, ce n’est pas du développement économique. Les ressources sont données par la nature, rien n’est créé. Évidemment, le Plan Nord rapporte énormément d’argent à la collectivité québécoise, et je m’en réjouis. Tout simplement, il ne s’agit pas de développement économique.

Alors, que faire? Et bien, vivement un Plan Sud!!!

Une vraie stratégie de développement économique consisterait à utiliser l’argent gagné dans le Nord (les redevances du gouvernement) pour renforcer la structure productive au Sud. Pas pour payer la liste d’épicerie d’aujourd’hui, mais pour réaliser des investissements structurants pour l’avenir : financer l’innovation et la recherche, le développement de nouveaux produits et de procédés, renforcer nos universités, CÉGEP et centres de recherche, rénover et améliorer nos infrastructures de transport et de technologie, investir dans les énergies renouvelables et les industries porteuses liées au développement durable, investir dans la formation de la main-d’œuvre, stimuler l’entrepreneuriat, appuyer les stratégies d’exportation, etc.

En somme, investir dans notre capacité d’innovation au Sud, au bénéfice des générations présentes et futures. Car les richesses naturelles du Nord représentent un patrimoine pour tous les québécois, aujourd’hui et demain.

C’est d’ailleurs ce que font en quelque sorte les norvégiens avec l’argent qu’ils gagnent grâce à l’exploitation du pétrole. Ces revenus sont versés dans un fonds souverain qui sert à générer un rendement au bénéfice des générations futures.

Ce n’est pas le Plan Nord OU le Plan Sud, c’est le plan Nord POUR le Plan Sud.

Création d’une Banque de développement du Québec: Structurite aiguë

Souhaite-on générer du développement économique au Québec? Rien de plus facile. On crée une nouvelle structure bureaucratique, de préférence avec un nom bien ronflant, on ajoute 500 millions de dollars, on met le tout au four quelques semaines, et hop!, le développement économique devrait se matérialiser.

Mais attendez… une structure responsable du développement économique au Québec, n’est-ce pas le rôle d’Investissement-Québec (IQ)? Pourquoi recréer une nouvelle structure alors qu’IQ existe déjà, opérant de façon fonctionnelle et relativement efficace?

Revenons quelques instants aux origines de la création d’IQ. L’organisme devait devenir un « guichet unique » pour les entreprises dans le but de stimuler le développement économique du Québec. IQ fut bâti sur le modèle de la Scottish Enterprise, l’agence de développement économique de l’Écosse. On sait qu’il y a une vingtaine d’années, l’Écosse faisait figure de région pauvre au sein de l’Union européenne. Avec une localisation géographique excentrée au nord de l’Angleterre, loin des principaux marchés européens, la région accusait un sérieux retard de développement par rapport au cœur industriel de l’Europe.

Mais durant les années 90, la région s’est prise en main, déployant une vaste stratégie de développement économique. La Scottish Enterprise fut placée cœur de cette stratégie. L’objectif était de créer une structure souple et dynamique, répondant à tous les besoins des entreprises (financement, développement, transfert de connaissances et conseils, aide à l’exportation, coordination).

La Scottish Enterprise a pour vocation non seulement d’appuyer les entreprises écossaises, mais aussi de démarcher les entreprises étrangères partout dans le monde afin de les convaincre d’établir une unité de production en Écosse. Bref, Scottish Enterprise détient les principaux leviers du développement économique de la région. L’organisme est d’ailleurs couramment cité à titre de modèle par excellence d’agence de développement économique.

De même, IQ s’occupe autant du financement des entreprises québécoises que de l’attraction des investissements étrangers. Elle dispose de bureaux à Paris, Munich, Stockholm, Tokyo, Pékin, Mumbai, Los Angeles, Atlanta, etc. Cette double responsabilité est importante : IQ s’assure de démarcher particulièrement des entreprises étrangères capables de renforcer la chaîne de valeur des industries québécoises, et non de l’affaiblir. Il s’agit donc d’une vision intégrée du développement économique. D’ailleurs, afin de se rapprocher davantage d’un guichet unique, IQ avait été fusionné avec la Société générale de financement (SGF) sous l’ère de Jean Charest, afin de réunir ces deux structures publiques de financement d’entreprises.

IQ bénéficie donc d’une crédibilité et une notoriété à l’international qu’il ne faut pas altérer.

Plutôt que de créer une nouvelle couche bureaucratique inutile, il suffirait simplement de modifier le rôle d’IQ, sans rien créer et sans rien détruire, en revenant aux origines de sa création: être un organisme dynamique et souple au cœur de la stratégie de développement économique du Québec.

Tout ce que Mme Zakaïb souhaite accomplir avec son projet de Banque de développement peut se réaliser au sein d’IQ.

La Ministre compte créer un fonds de capital de risque? Elle désire injecter 500 millions dans cette stratégie de développement? Il suffit de constituer un fonds de développement régional dédié qui serait géré par IQ.

On veut renforcer la coopération entre les Centres locaux de développement (CLD)? Ce mécanisme de coopération peut être implanté tant par IQ que par leur ministère de tutelle, soit le ministère de l’Économie et des Finances.

On cherche à réunir dans les mêmes bureaux régionaux les gens d’IQ, les CLD et les fonctionnaires locaux du ministère de l’Économie et des Finances? Excellente idée, mais faut-il une banque de développement pour réaliser ce déménagement?

Déjà, l’appellation « Investissement Québec » (Invest Quebec en anglais) évoque une orientation plus dynamique et centrée sur le monde des affaires qu’une « banque de développement »… D’abord, le mot fait technocrate. Mais surtout, malgré toute son utilité, une banque traîne une réputation de conservatisme à force de ne pas vouloir prendre trop de risque. Les PME qui cherchent désespérément du financement en savent quelque chose. Une banque se trouve donc bien mal placée pour être au cœur d’une stratégie de développement économique qui, par définition, rime avec risque. Un projet d’affaire, c’est toujours risqué!

Quoiqu’il en soit, la technostructure seule ne crée par de développement économique. Sans une véritable stratégie industrielle intégrée et cohérente au Québec, il ne servira à rien de multiplier les structures et de disperser les millions de dollars ici et là.

Mais, outre l’absence d’une stratégie économique, on ne peut que regretter l’inexistence d’une véritable politique régionale. Les régions doivent être véritablement outillées pour définir et mettre en œuvre leur politique de développement, selon les caractéristiques socio-économiques propres à leur territoire, sans que cela ne soit imposé d’en haut par Québec.

Pas de stratégie industrielle, pas de politique régionale, pas de développement économique.

On a beau décortiquer les programmes des partis politiques au Québec, on ne trouve rien qui peut s’approcher d’une telle vision (voir mon blogue sur le projet de Vallée du Saint-Laurent de la CAQ).

Pour reprendre une manchette du journal Les Affaires… VIVEMENT UN PLAN SUD!

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