Diversité, cohabitation sociale et développement économique

Ce Blogue économique est publié conjointement dans le journal de rue La Galère et sur ce site, dans le cadre d’une nouvelle collaboration.

Quand on m’a demandé d’écrire un billet sur l’économie et la cohabitation sociale, je me suis dit sur le coup que la science économique avait peu à dire sur ce sujet pourtant important et intéressant.

La rédaction du journal a précisé qu’elle souhaitait parler « du mieux vivre ensemble dans le respect des différences et des richesses de chacun ». Différence? Richesses? Diversité! Alors là, j’ai allumé; la diversité est une notion de la plus grande importance en développement régional (ma spécialisation), et à partir de là, une série de concepts économiques liés à cette notion ont émergé dans mon esprit. J’avais donc une chronique!

Par souci de concision, je retiens trois concepts économiques importants liés à la diversité :

1. L’innovation et la richesse des milieux;

2. La cohabitation sociale et la qualité de vie;

3. L’immigration et l’entrepreneuriat.

1.       Innovation

On sait que l’innovation est l’un des moteurs du développement économique.  Une PME, pour survivre, doit nécessairement se distinguer de ses concurrents. C’est par l’innovation qu’elle pourra trouver son élément de différenciation. Il faut voir l’innovation au sens large : créer un nouveau produit/service, ajouter de nouvelles caractéristiques originales à un produit/service déjà existant, concevoir un nouveau design, inventer une méthode de marketing novatrice, développer des technologies de production plus efficaces afin de réduire les coûts (et donc le prix), etc. C’est par cela qu’une PME génère une valeur ajoutée par rapport à la concurrence.

À la base de l’innovation, il y a l’émergence de nouvelles connaissances et d’idées. L’innovation, c’est toujours une combinaison de savoir et d’idées déjà existants.  Pour inventer un nouveau médicament, il fallait l’invention du microscope. Pour inventer le microscope, il fallait l’invention du verre, et pour inventer le verre, il fallait savoir faire du feu! De même, on peut avoir une nouvelle idée de design en visitant un musée. On peut penser à une nouvelle fonctionnalité pour un produit en observant les caractéristiques d’un tout autre produit. Par exemple, un iphone est à la base la combinaison entre un téléphone et un lecteur MP3.

Quel est le lien avec la diversité? Et bien voici : l’innovation provient d’un processus « tourbillonnaire ». Les idées se combinent les unes aux autres pour créer de nouvelles idées dans un tourbillon créatif. Or, qui diffuse les idées? Les gens! Plus il y a d’échanges et de rencontres entre des gens ayant des idées différentes, plus le milieu sera fertile à la création d’idées et d’innovation. C’est comme des blocs Légo : plus on a de pièces différentes, plus on peut être créatif.

Dans un milieu homogène, dans lequel tout le monde se ressemble, avec les mêmes idées, il y a moins de créativité. L’innovation se nourrit donc de la diversité! Il faut une confrontation enrichissante entre des gens qui proviennent d’horizons divers ayant des expériences et des façons de penser différentes, et cela génère de l’innovation.

Ce n’est pas sans raison que les services créatifs (jeux vidéo, design, publicité, graphisme, technologies de l’information, culture, etc.) tendent à se localiser dans des milieux très diversifiés. C’est là qu’ils trouvent le bouillon créatif nécessaire à leur développement.

2.       L’urbanisme

Le concept de cohabitation sociale est central en urbanisme. Pensez à un quartier ou à une rue, qu’importe la ville, que vous trouvez intéressant à fréquenter. C’est toujours un lieu de diversité. Un quartier homogène où tout est identique, c’est profondément ennuyant. L’esprit humain affiche une nette préférence pour ce qui est diversifié, que ce soit pour la consommation (un large choix de produits différents) que pour la contemplation (plusieurs œuvres différentes dans un musée, une panoplie de paysages pour les lieux de vacances, des bâtiments architecturaux différents dans une ville, etc.).

Par conséquent, la diversité est un élément de qualité de vie dans un quartier. À l’Institut de recherche sur les PME de l’UQTR, nous avons récemment réalisé une étude sur les facteurs d’attraction des étudiants universitaires de Montréal et de Québec qui nous dit que la diversité du milieu de vie est importante pour eux.

Le Québec et la Mauricie, en particulier, connaissent des pénuries importantes de main-d’œuvre et la population vieillit. Les PME ont besoin de personnel pour se développer. Or, il se trouve que la qualité de vie est l’un des critères importants pour attirer et garder des jeunes travailleurs dans une région. Un urbanisme de qualité basé sur la beauté et la diversité du milieu est donc une composante cruciale de cette qualité de vie, surtout pour des régions qui veulent se montrer attirantes.

3.       L’immigration et l’entrepreneuriat

À l’Institut de recherche sur les PME, nous travaillons aussi à comprendre les déterminants de l’entrepreneuriat dans les régions du Québec. Qu’est-ce qui fait qu’une région crée plus d’entreprises qu’une autre? Nous avons obtenu un résultat étonnant : plus il y a d’immigrants dans une région, plus son taux de création d’entreprise est fort. Voilà donc une autre facette de la cohabitation sociale qui entre en jeu : l’immigration.

Au départ, nous croyions que c’était l’effet de la région métropolitaine de Montréal, caractérisée à la fois par une forte immigration et un entrepreneuriat très élevé. Mais même en retirant Montréal de l’analyse statistique, on obtient le même résultat : l’immigration est un facteur d’entrepreneuriat.

Pourquoi? Nous n’en sommes pas sûrs. Mais nous avons quelques pistes de réflexion. Tout d’abord, l’action d’immigrer est en soi un acte entrepreneurial. Tout quitter (famille et amis, travail, résidence) pour aller tenter sa chance dans un autre pays est une décision très risquée qui implique de nombreuses démarches et beaucoup d’efforts. Ce sont là des caractéristiques que les entrepreneurs partagent : prise de risque, travail, débrouillardise, gestion de l’incertitude, etc. Les immigrants auraient donc à la base des prédispositions personnelles favorables pour devenir entrepreneur.

Autre piste de réflexion. Nous avons expliqué que l’innovation se nourrissait de diversité. Pour créer une entreprise, il faut se distinguer, donc innover. Or, les immigrants apportent avec eux de nouvelles idées et d’autres façons de penser qui peuvent mener à des créations d’entreprise dans le nouveau pays, ou encore inspirer des entrepreneurs locaux.

Le développement économique

En conclusion, innovation, attraction de la main-d’œuvre, entrepreneuriat : voilà trois composantes du développement économique d’une région. C’est ainsi que la cohabitation sociale et la diversité contribuent à l’économie d’un milieu.

 

Des baisses d’impôt? Oui peut-être, mais pas maintenant!

Baisse d'impôt

Le Québec vit une période très particulière qui devrait inciter le gouvernement à conserver ses marges de manœuvre budgétaires.

Ce Blogue économique est publié conjointement dans le journal de rue La Galère et sur ce site, dans le cadre d’une nouvelle collaboration. 

Un regroupement de personnalités de la Mauricie et d’ailleurs me demandait récemment mon appui pour la publication d’une lettre ouverte dans laquelle il dénonce la baisse d’impôt de 278 $ par travailleur annoncée par le gouvernement du Québec en novembre dernier. Bien que d’accord avec ce constat, j’avais cependant une perspective différente sur le sujet. Mon argument a trait au mauvais « timing » de ces baisses d’impôt, et non pas sur son principe général.

En effet, peu importe que l’on soit idéologiquement pour ou contre, la première question que l’on doit se poser est : est-ce le bon moment de réduire les impôts? Considérant la conjoncture économique actuelle, le gouvernement du Québec aurait tout intérêt à conserver des marges de manœuvre financières pour pouvoir faire face à quatre défis budgétaires : vieillissement de la population, financement des infrastructures, crise économique et dette publique. Ce sont des problématiques conjoncturelles certes, mais qui impliquent des dépenses importantes dans les années à venir.

Vieillissement. On le sait, la génération des baby-boomers part graduellement à la retraite. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, il y a eu une très forte augmentation des naissances jusqu’en 1965 environ. D’où l’expression « boom de bébés » (baby-boomers). Le taux de natalité a par la suite chuté au cours des périodes qui ont suivi.

Ce qui fait qu’aujourd’hui, on note un débalancement démographique important. Le nombre de personnes actives (la population en âge de travailler) est de plus en plus faible par rapport aux retraités. En 1971, on comptait neuf individus de 15-64 ans par personne retraitée. Aujourd’hui, ce ratio est tombé à trois. Résultat : le poids du financement des retraites devient de plus en plus lourd par personne active. De plus, puisque les baby-boomers vieillissent, on constate une proportion plus grande de personnes ayant des besoins en services de santé et autres services sociaux. Ce débalancement démographique va se résoudre, par lui-même, avec le temps. En attendant, il faut quand même assurer cette hausse inévitable des dépenses…

Infrastructures. Au Québec, une très grande majorité des infrastructures ont été construites pendant la « Révolution tranquille » entre 1960 et 1970 : routes, ponts, écoles, etc. Évidemment, aujourd’hui en 2018, après presque 60 ans, ces infrastructures ont sérieusement besoin d’entretien ou de renouvellement. On pense au pont Champlain en train de littéralement se décomposer. Ou la plupart des viaducs du Québec, tel que le signalait en 2006 une commission parlementaire. Ou des écoles primaires infectées de moisissures. Et on ne parle pas des besoins d’investissements dans de nouvelles infrastructures : réseaux de transport en commun, trains rapides, etc.

Le Québec se situe en ce moment dans un cycle de modernisation et de renouvellement de ses infrastructures. C’est très coûteux, et nous en avons encore pour quelques années. Mais ce sont des investissements essentiels pour la qualité de vie des gens, mais aussi pour la compétitivité économique du Québec.

Remboursement de la dette. Le gouvernement du Québec vient de dégager des surplus budgétaires, une première depuis 10 ans. Malgré tout, la dette publique combinée des gouvernements fédéral et provincial se situe à 83,7% du PIB selon l’Institut Fraser. C’est inquiétant pour plusieurs raisons. J’en donne deux. Premièrement, les paiements d’intérêts sur la dette sont gigantesques : 62,3 milliards de dollars par année. Cet argent pourrait contribuer à financer des services publics plutôt que les coffres des institutions financières. Deuxièmement, sur le plan des principes, c’est une forme d’iniquité générationnelle puisque l’on repousse des dépenses d’aujourd’hui sur le dos des prochaines générations. Plutôt que des baisses d’impôt, le gouvernement pourrait songer à rembourser sa dette.

Certains diront que la dette n’est pas une réelle préoccupation et qu’il faut plutôt investir dans la société. Très bien, mais pour ce faire, d’une façon ou d’une autre, il faut conserver les revenus du gouvernement!

Crise économique. La crise économique de 2008-2009, l’une des plus graves depuis la Grande crise de 1929, a plongé le budget de tous les gouvernements occidentaux dans des déficits gargantuesques. Ce que cette crise nous a enseigné, c’est qu’un gouvernement doit conserver des marges de manœuvre budgétaires pour faire face aux prochaines difficultés économiques.

Si un budget est au déficit zéro avant une crise, le gouvernement s’en félicite, mais il risque de se retrouver avec un déficit de -2% ou -3% du PIB avec la crise. Par contre, si un gouvernement prévoyant ajuste ses finances pour qu’en temps normal, le budget dégage un surplus de 2% ou 3%, il se retrouvera au déficit zéro au pire de la crise! S’il n’y a pas de crise, le gouvernement aura le loisir d’utiliser son surplus. C’est le même principe qu’une famille qui conserve un petit coussin de sécurité pour couvrir les imprévus financiers.

Après 10 ans, l’économie mondiale vient à peine de s’en sortir. Mais avec toute l’incertitude actuelle sur le plan de l’économie mondiale et de la géopolitique, qui sait quand arrivera la prochaine crise? Les finances publiques du Québec restent fragiles malgré les récents surplus budgétaires. Le gouvernement ne peut se permettre d’offrir des cadeaux fiscaux dans ces conditions.

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Il y a de bonnes raisons de vouloir baisser les impôts : donner aux entreprises de la marge financière pour investir, et aux contribuables plus de moyens pour consommer, etc. Et il y a des arguments pour augmenter les impôts : lutter contre la pauvreté, réduire les inégalités sociales, etc.

L’objectif ici n’est pas de prendre position. Au-delà du débat gauche-droite, il faut songer au « timing » des baisses d’impôt. Si on est d’accord en principe, est-ce vraiment le bon moment, en pratique, dans cette période très particulière pour le Québec?