Cryptomonnaies : un mirage pour les villes ? – La Presse+

Cryptomonnaies : un mirage pour les villes ? – La Presse+

Article d’opinion, 7 avril 2018

L’effervescence populaire autour du bitcoin et autres cryptomonnaies inspire apparemment des maires de petites villes québécoises. Ils ont l’ambition affichée de se lancer dans le « minage » de cryptomonna

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« Mines » de bitcoins pour développer une ville : minage ou mirage?

L’inconscience des maires qui se lancent dans de tels projets

L’effervescence populaire autour du bitcoin et autres cryptomonnaies inspire apparemment des maires de petites villes québécoises. Ils ont l’ambition affichée de se lancer dans le « minage » de cryptomonnaies pour assurer le développement économique de leur ville. Les médias ont rapporté des exemples notamment dans les ville de Montigny, Matane, Baie-Comeau et Thetford.

Compte tenu de l’engouement mondial envers les cryptomonnaies, des villes en manque de développement croient flairer la bonne affaire. Elles font valoir les très faibles prix de l’électricité au Québec, et la disponibilité d’espaces industriels vacants dans leurs municipalités. Faut dire que les énormes serveurs réalisant les opérations de minage exigent de grands espaces d’entreposage et de puissants systèmes de climatisation très énergivores.

Mais le minage du bitcoin, est-ce réellement une belle opportunité de croissance économique ?  Il s’agit plutôt d’une inconscience totale !

Pour comprendre tout cela, commençons par faire le point sur ce qu’est une cryptomonnaie.

Un bitcoin, ça sert à quoi?

Une cryptomonnaie est une monnaie virtuelle qui permet de faire des transferts d’argent entre individus et de payer des biens et services sur Internet. Comme il n’y a aucune autorité de contrôle, la transaction est sécurisée par une technologie de cryptographie appelée « blockchain ». Cette technologie permet aux individus de transiger de l’argent dans un anonymat des plus complet, puisque ce sont des algorithmes informatiques anonymes qui valident la transaction, et non pas une tierce partie.

Normalement, lors d’une transaction monétaire électronique, la banque, l’opérateur de carte de crédit ou l’agence de transfert (Paypal, Western Union, etc.) sait qui fait la transaction et qui reçoit l’argent. Dans le cas d’une cryptomonnaie, personne ne peut le savoir.

Donc, le principal – et probablement seul – avantage du bitcoin, est son anonymat. Il n’est donc pas surprenant qu’il attire particulièrement les opérateurs du monde illicite : marché noir, groupes terroristes, organisations mafieuses, rançonneurs, trafiquants de drogues et de produits illicites, et autres malfaiteurs.

Le bitcoin, monnaie inutile

Mais, outre assurer l’anonymat, le bitcoin sert à quoi pour le commun des mortels? C’est un moyen de paiement en ligne tel qu’il en existe des dizaines d’autres. Ce n’est pas les options qui manquent : cartes de crédit, paiements Interac par courriel, Paypal, virements bancaires électroniques, etc. Quel est l’avantage du bitcoin sur ces moyens de paiement? Aucun, si vous n’avez rien à cacher évidemment!

Pire, l’utilisation du bitcoin est même plus risquée car vous n’aurez aucune protection contre les fraudes lors des transactions, contrairement aux paiements par Interac ou par carte de crédit.

Et je vous suggère d’utiliser immédiatement vos bitcoins, car il est impossible de connaître sa valeur dans une heure, dans une semaine, ou dans un an. Contrairement aux monnaies classiques, le bitcoin n’a aucune valeur intrinsèque.

Le bitcoin : monnaie purement spéculative

Un billet de vingt dollars canadiens aura toujours la même valeur, dans cinq ans, dix ans ou cent ans. Cela est garanti par la Banque du Canada, la banque centrale du pays. On retrouve parfois, en faisant le ménage, des dollars vieux de trente ans. Ils sont encore utilisables aujourd’hui et la valeur indiquée sur le billet tient toujours.

Pas le bitcoin. Comme il n’y a pas d’autorité centrale, il n’y a personne pour garantir la valeur de vos bitcoins à travers le temps. Elle évolue en fonction de l’offre et de la demande. Le bitcoin devient donc une monnaie dont la valeur est purement spéculative. Comme elle est essentiellement inutile pour la très grande majorité des gens et des entreprises comme moyen de paiement, elle est aujourd’hui utilisée comme moyen de spéculation. On achète du bitcoin dans l’espoir de le revendre à prix plus élevé dans le futur. Mais sans valeur intrinsèque, il est impossible de prévoir sa valeur future. Il est donc excessivement dangereux et risqué « d’investir » dans quelque chose qui n’a strictement aucune valeur intrinsèque.

D’ailleurs, le cours du bitcoin est sujet à des fluctuations extrêmes. Au départ, répondant à l’enthousiasme initial envers cette technologie, le cours s’est accru de façon exponentielle jusqu’à atteindre 19 435$ US en décembre dernier, puis ce fût la chute, touchant un plancher de 6 856$ US. La valeur d’un bitcoin est de 8 594$ US actuellement.

Bitcoin cours

Source : http://www.xe.com/fr/

Même si les cours d’une action à la bourse peuvent être très spéculatifs, ils reposent tout de même sur la valeur d’entreprises réelles, disposant d’actifs qui ont de la valeur, et générant de vrais flots monétaires : des profits. De même, l’or peut être une valeur d’échange et d’investissement, mais ce métal a une valeur intrinsèque par lui-même puisqu’il est utilisé pour confectionner des bijoux et pour la fabrication de certaines pièces manufacturées.

C’est pourquoi les cryptomonnaies sont considérées comme étant dangereuses pour la stabilité du système financier et monétaire, et je ne recommande pas « d’investir » dans du bitcoin. D’ailleurs, plusieurs pays songent à interdire son utilisation! Ce n’est pas sans raison que l’autorité du marché financier du Canada met en garde les investisseurs contre le bitcoin.

La création de bitcoin : du « minage »

Si la valeur du bitcoin dépend de l’offre et de la demande, qui offre du bitcoin? C’est ici que le « minage » entre en jeu. Dans le cas des monnaies classiques, ce sont les banques centrales des pays qui assurent l’offre de monnaie. Dans le cas du bitcoin, il n’y a pas d’autorité centrale. Qui créé de nouveaux bitcoins alors? Les « mineurs » de bitcoin.

C’est un peu complexe, mais pour simplifier, n’importe quel individu peut « activer » ou « déterrer » de nouveaux bitcoins dans le monde virtuel en résolvant des algorithmes mathématiques très complexes, à l’aide d’ordinateurs super puissants. Plus de nouveaux bitcoins sont créés dans le monde, plus les algorithmes sont difficiles à résoudre, et exigent donc de la puissance informatique.

D’où l’utilisation de grands serveurs informatiques super énergivores. Quel gaspillage d’énergie alors que le réchauffement de la planète nécessite plutôt des activités économiques qui consomment moins d’énergie. Tout cela pour une monnaie qui ne sert à rien!

Je ne suis pas anti-technologie dans mon opposition aux cryptomonnaies. Le système de « blockchain » est excessivement intéressant en terme d’innovation pour de nombreux secteurs d’activité. Mais cette technologie peut se déployer dans d’autres domaines, plus porteurs et plus utiles que les cryptomonnaies.

L’erreur des maires

En résumé, les cryptommonaies sont :

  • Inutiles, pour la très grande majorité de la population et des entreprises
  • Utilisées essentiellement par les malfrats. Elles alimentent le marché noir et illicite.
  • Purement spéculatives, donc hyper risquées pour les investisseurs
  • Dangereuses pour la stabilité financière et monétaire
  • Grandes consommatrices d’énergie, dans un contexte de transition énergétique

Est-ce vraiment vers ce genre d’activités que les villes pensent trouver leur salut?

Qu’une ville veuille louer des locaux à des entrepreneurs pour du minage de cryptommonaies, et créer quelques précieux emplois, c’est légitime et tout à fait légal.

Mais d’en faire publiquement et officiellement une orientation de développement local, c’est une inconscience totale qui ignore la nature très néfaste, dangereuse, totalement inutile et anti-environnementale des cryptomonnaies. Ce n’est pas pour rien que certaines villes ont déjà interdit le minage de bitcoin sur leur territoire.

Le développement économique durable se base sur la création de vraies valeurs, par exemple, par l’élaboration de nouveaux produits ou par de l’innovation, et non pas sur des solutions pseudo-miraculeuses.