Le Premier Ministre du Québec, Philippe Couillard, prétend qu’il a « littéralement sauvé le Québec », son gouvernement ayant éliminé le déficit budgétaire. Le PM a peut-être l’exploit héroïque un peu facile, car c’est là une version très romancée qui ne correspond pas tout à fait à la réalité.
Car avant même l’arrivée au pouvoir du gouvernement Couillard, le Québec était, de toute façon, en bonne voie d’atteindre le déficit zéro, grâce au travail méthodique des deux précédents ministres des Finances, MM. Raymond Bachand (libéral) et, dans une moindre mesure, Nicolas Marceau (PQ).
Pour comprendre, retournons aux années 2007-2009 : la plus grande crise économique depuis 1929 venait de frapper, après l’écroulement des prêts immobiliers « sub-prime », créant un profond désarroi économique partout dans le monde. Cette Grande Récession (Great recession, selon l’expression de l’économiste Paul Krugman) a plongé le budget des gouvernements de tous les pays développés dans le rouge. On le voit très bien dans le graphique ci-dessous. Et c’est vrai même pour ceux qui avaient un surplus budgétaire au départ.
En effet, les récessions, c’est-à-dire que lorsque la richesse d’un pays (le PIB) recule pendant au moins deux trimestres, créent presque automatiquement des déficits budgétaires.
Pourquoi? C’est très simple.
1) Les revenus du gouvernement chutent automatiquement. Le profit des entreprises diminue et les gens ont moins de revenus. Pour le gouvernement, cela signifie moins de recettes de taxes (car on consomme moins) et d’impôts (car les entreprises et les contribuables gagnent moins d’argents).
2) Les dépenses du gouvernement augmentent. Les récessions créent du chômage et de la pauvreté. Par conséquent, le gouvernement voit ses dépenses de programmes venant en aide aux plus démunis (bien-être social par exemple) augmenter automatiquement.
Dans ces conditions, le déficit ne vient pas d’une mauvaise gestion du gouvernement, mais des conditions macroéconomiques internationales pour lesquelles il ne peut rien.
Après le choc de 2007-2009, les différents gouvernements québécois ont systématiquement présenté un plan crédible pour revenir graduellement au déficit zéro autour de 2015-2016.
Pourquoi aussi graduellement? Parce que si l’on coupe sauvagement dans les dépenses du gouvernement d’un coup, on risque d’empirer la crise économique. Ce qui est confirmé par le FMI et l’OCDE, que l’on ne peut soupçonner d’être particulièrement à gauche.
C’est ce qu’ont fait MM. Bachand et Marceau. On le voit dans le graphique suivant : depuis 2009, le gouvernement réduit son déficit budgétaire graduellement. Les deux ministres des finances avaient déjà prévu un retour à l’équilibre budgétaire autour de 2015. Il y a eu un petit bond du déficit sous M. Marceau, mais son plan budgétaire annonçait tout-de-même un retour vers 2014-2015.
M. Couillard intervient donc à la toute fin d’un objectif qui était déjà en voie de se réaliser.
En plus, le déficit budgétaire du Québec, quand on le calcule en proportion de notre richesse (PIB), est très faible en comparaison avec les autres pays développés et même l’Ontario ou le gouvernement fédéral (voir le tableau ci-dessous). Il est de moins de 1,5% du PIB au Québec alors qu’il monte à plus de 3-4% et plus dans d’autres juridictions. Donc, il n’y avait pas un péril extraordinairement grave.
Déficit budgétaire du gouvernement en proportion du PIB | ||||
2009 | 2010 | 2011 | 2012 | |
Québec | -1,4 | -1,4 | -1 | -0,4 |
Ontario | -4,4 | -2,7 | -2,5 | -2,3 |
Canada | -4,9 | -5,6 | -4,5 | -3,5 |
USA | -11,6 | -10,7 | -9,7 | -8,3 |
Royaume-Uni | -11,0 | -10,3 | -8,4 | -7,7 |
France | -7,6 | -7,1 | -5,2 | -4,5 |
Allemagne | -3,2 | -4,3 | -1,0 | -0,9 |
Japon | -8,8 | -8,4 | -9,5 | -9,9 |
Sources : OCDE et Ministère des finances du Québec |
Et c’est d’autant plus facile pour le gouvernement libéral de M. Couillard que les perspectives économiques pour le Québec sont positives : retour de la croissance économique aux États-Unis, baisse du dollar canadien qui favorise les exportations, etc.
Autrement dit, le retour de la croissance économique rend encore plus facile la lutte contre le déficit. A l’inverse de la logique en temps de crise, la croissance économique augmente automatiquement les revenus du gouvernement, et réduit automatiquement ses dépenses.
Évidemment, il fallait garder les mains fermement sur le volant pour conserver la discipline budgétaire nécessaire. Car ce qui est grave au Québec, c’est le niveau de la dette publique qui est l’une des plus fortes dans le monde occidental en proportion du PIB.
Mais le train était presque déjà arrivé à destination lorsque que M. Couillard a pris le pouvoir, dans des conditions bien meilleures que les gouvernements précédents.
Et il l’a fait de la façon la plus risquée possible pour l’économie : en sortant massivement la hache budgétaire, au risque de tuer le retour de la croissance économique du Québec et d’affaiblir la capacité du gouvernement à répondre aux besoins de base des citoyens.
Conclusion : le gouvernement a tellement surjoué la lutte contre le déficit qu’il présente aujourd’hui un énorme surplus de 2 191 millions de dollars!
Bref, M. Couillard n’a pas « sauvé le Québec ». Il a plutôt contribué plus modestement (et peut-être même dangereusement) au retour à l’équilibre budgétaire.